Le problème, avec la paix, c’est qu’elle est toujours synonyme de guerre. Alors que le temps est paisible. Alors que les sourires ont remplacé les mines effrayées, on peut toujours lire, quelque part, dans un regard, l’ombre de la guerre qui plane, encore et encore. Irina et Solomonia se promenaient au bord du lac baïkal. On sous-estimait la beauté des paysages russes. Cette vallée de vide s’étendait à perte de vue, et le lac avec. Seulement, depuis quelques jours, quelque chose perturbait les eaux, autrefois calmes, du lac. On disait que du sang s’y écoulait, rougissant les eaux ténébreuses. La curiosité n’ayant jamais fait défaut à Irina, celle-ci avait voulu en avoir le cœur net. Les rumeurs et les allégations étaient bien trop souvent peu fondées et seule l’expérience pouvait répondre à ses questions. La faible brise qui animait encore Durmstrang semait le trouble sur l’ondée du lac, formant des vaguelettes qui venaient mourir sur les rivages. Mais, alors qu’elles se rapprochaient du côté du lac qui bordait l’institut, une odeur prit Irina aux tripes.

« Bordel de troll à la foire de Saint Aigure, qu’est-ce que c’est que cette odeur ignoble ! »

Elle recouvrit son nez avec sa manche. La question était rétorique, bien entendit, puisque l’eau qui vint s’échouer sur les rives du lac vint répondre à son interrogation. Elle était rouge. Rouge sang. Des caillots globuleux se mélangeaient même au liquide vaseux. Les yeux écarquillés, elle regardait le spectacle de la mort s’accomplir devant elle.

« Nom d’un cul de phoenix à bicyclette, Solomonia, qu’est-ce que c’est que cette merde ! »

On pense que tout va toujours bien, et que même quand quelque chose tourne mal, il suffit d'attendre pour que tout se répare tout seul. C'est triste de se penser les maîtres du monde, parce qu'au final, c'est lui qui nous rappelle toujours à l'ordre. C'est lui qui nous permet de vivre, et c'est à cause de nous qu'il s'auto détruit. J'avais peur de passer à côté de quelque chose, peur de découvrir qu'au final, tout n'était qu'un mensonge. Je voulais que Durmstrang redevienne comme avant, je voulais comprendre pourquoi est-ce qu'on en était arrivé là, et comment on avait pu en arriver à un point tel que l'odeur même de l'école nous dégoûtait. Il n'y avait qu'un responsable. Et pour le trouver, on devrait se salir les mains, c'était inévitable. On arrivait près du lac, et l'odeur était tellement insupportable qu'on dû presque arrêter de respirer. « Bordel de troll à la foire de Saint Aigure, qu’est-ce que c’est que cette odeur ignoble ! » « Ça a l'air de venir du lac. »

On s'approcha lentement du lac qui bordait l'institut pour découvrir une étendue rouge sang. Une étendue trop morbide pour être vrai. « Nom d’un cul de phoenix à bicyclette, Solomonia, qu’est-ce que c’est que cette merde ! ». J'étais trop choquée pour parler. Peut être que j'avais peur, aussi. « Putain c'est dégueulasse, putain, putain, putain. ». Je ne savais pas comment est-ce que c'était arrivé là. Hier, tout allait bien. Hier, quelques idiots se sont même amusé à se baigner dans l'eau claire du lac. Hier, le sang ne coulait que dans nos veines.

Parfois, les gens abandonnent si facilement que c'en est effrayant. On les voit sombrer sous nos pieds, on les voit disparaître et on se rappelle que peut être, il y a encore des choses que l'on a pas dit. Des secrets qu'on a gardé cachés, et qu'on aurait peut être dû révéler. On se rappelle de chaque petite erreur que l'on a pu commettre, et on se souvient de l'importance de la vérité. Elle fait peut être autant mal que les mensonges, elle nous détruit peut être plus que n'importe quelle entité, mais elle est au moins aussi forte que les mensonges. Elle a le pouvoir de nous sauver et de tout réparer, tout comme elle a la possibilité de tout détruire. On traverse ce fil, les yeux fermés en espérant que si l'on tombe, quelqu'un nous rattrapera. En m'approchant de l'eau, je fis tomber Irina involontairement. Celle-ci se raccrocha à moi, avant que l'on ne tombe toute les deux dans les profondeurs du lac.

« Ca va ? »
« Parfaitement, je peux juste dire adieu à tout ce que je porte, vu la putain d'odeur que je vais avoir. ».

J'avais dit ça en riant, je m'en fichais bien de ce que je portais. Ce qui était important, par contre, c'était que nous allions toutes les deux bien.

« Bordel mais qu’est-ce qu… »

Et Irina disparût sous l'eau. Je pris une longue inspiration et plongeait à mon tour. Une créature lui tenait le pied, et la tirait vers le fond. Encore quelques brasses, et je me saisi de ma baguette afin de la libérer de son emprise. « Stupéfix ! ». Je tirais mon amie à la surface afin de la sortir de l'eau et de la ramener sur le bord.

« Putain de merde Irina ! Putain-de-merde ! ». J'accentuais sur chacun de mes mots. Décidément, Irina avait une mauvaise influence sur mon vocabulaire. « On va prendre de la branchiflore, et replonger. Autant avoir un minimum de protection. ». Je lui tendis la plante, on l'avala toute les deux, avant de se jeter à nouveau dans le lac.

« Merci »

Un murmure. Elle venait de la sauver, et c’était tout ce qui sortait de sa bouche. Elle regardait le lac, pétrifiée. Elle ne savait pas quels monstres se cachaient dedans, mais une chose était sûre, ils n’étaient pas bienveillants. Elle reprenait peu à peu son souffle. L’odeur, plus présente que jamais, s’infiltrait dans ses sinus. Doucement. Lentement. Comme un poison. Un poison qui vint lui donner une migraine. Solomonia arracha une plante du bord du lac. Irina avait déjà goûté à la branchiflore. Et dire qu’elle avait détesté ça était un euphémisme. Malheureusement pour elle, elle n’avait pas le choix. C’était soit ça, et rester avec ses questions irrésolues, soit partir à la recherche de la vérité. Elle avala donc la plante que lui avait tendu Solomonia, la remerciant d’un signe de tête. Et c’était parti. Hors de l’eau, elle étouffait, alors elle plongea. Elle plongea la première. Elles s’enfonçaient dans le lac. Dans le lac de sang. Parmis les caillots et les organes. Elle sentait des choses toucher ses mains, ses jambes, mais elle refusait de regarder de quoi il s’agissait. Elle avait bien trop peur de ce qu’elle découvrait. Un virage. Un virage vain. Le lac était immense, mais à gauche, le sang se dissipait. Elle décida donc de faire demi-tour après avoir fait signe à Solomonia. Mais le chemin qu’elle choisit ne les mena que dans des algues tortueuses qui, fourbes, s’accrochaient à ses jambes. La peur pris le dessus et elles déguerpirent du sol infesté par les algues ensanglantées. Elles décidèrent de se rendre vers la droite, où l’eau était plus rouge et plus opaque, mais aussi, et certainement, plus dangereuse…

Jamais je n'aurai pensé que le lac qui nous entourait pourrait avoir une allure tellement effrayante. J'étais pétrifiée face à ce que je ne connaissais pas. J'aurai préféré ne rien savoir, et partir, mais ce n'était pas mon genre. On avait découvert que le lac n'était plus ce qu'il était, et on devait continuer à se battre pour découvrir le fin mot de l'histoire. Irina me remercia de l'avoir sauvée, et on replongea après avoir ingéré de la branchiflore. Je ne savais pas ce qu'on trouverait dedans. J'avais terriblement peur de ce que l'on trouverait là dedans. Que quelque chose nous attaque, et que je sois incapable de la sauver à temps. L'eau était troublée par le sang, et des centaines de débris humains heurtaient nos corps. Je refusais d'ouvrir la bouche, même si j'étais bien obligée de garder les yeux ouverts, cependant. On tourna d'abord à gauche. Mais c'était inutile, il n'y avait rien. Puis en revenant sous nos pas, des algues s'accrochèrent à nos pieds. Plus qu'une solution, aller à droite. C'est à ce moment là qu'on se retrouva nez à nez avec une méduse vénéneuse. Je fis signe à Irina de remonter légèrement, pour passer au dessus d'elle. Avec de la chance, on arriverait à passer de l'autre côté...

Il y a des choses qu'on ne peut pas contrôler, des monstres qui se mettent toujours sur notre chemin pour nous empêcher d'atteindre la liberté. Et dans ces cas là, il suffit d'aller vite. Prendre une décision au hasard, à l'instinct, puisqu'il n'y a que ça qui puisse nous sauver. Avoir peur pour sa propre vie est une chose. Avoir peur de mourir et de ne jamais pouvoir exprimer ses regrets en est une autre.

Irina nageait tant bien que mal, terrorisée par la méduse qu’elles venaient tout juste de dépasser. Ses tentacules hantaient encore ses pensées lorsqu’elles tombèrent sur un groupe d’êtres de l’eau. Elle fronça les sourcils. Ils n’avaient pas l’air très accueillants. Et pour cause ! L’un d’eux s’amusait même à tourbillonner autour des deux étudiantes en riant avec sa voix stridente.

« Assez ! »

Irina s’exclama, énervée, de sorte à calmer l’être de l’eau qui semblait d’humeur joueuse. Celui-ci se renfrogna, les bras croisés, et rejoignit les deux autres. Un regard vers Solomonia. Peut-être savait-ils quelque chose sur le sang qui avait pris possession des eaux troubles du lac. Peut-être auraient-ils les réponses qu’elle attendait tant ? Faisant des gestes, montrant le sang et les organes qui flottaient autour d’eux, elle leur expliqua qu’elle désirait en savoir plus sur ce dérèglement. Mais avant même d’avoir pu finir de formuler sa question, les êtres de l’eau fondirent sur elles. Irina, propulsée vers le fond du lac, sentit son dos toucher les graviers glacés avant de remonter vers les êtres de l’eau qui s’en prenaient à présent à Solomonia. Malgré l’engourdissement de ses doigts, elle parvint à s’emparer de sa baguette.

« Bombarda »

Le sort propulsa l’un des êtres de l’eau hors de la surface du lac, loin d’elles. Elles seraient tranquilles pour un bon bout de temps. Mais il en restait deux autres à combattre, et ils n’avaient pas l’air ravi.

On était arrivées tant bien que mal à passer la méduse, et il a fallu qu'on retombe sur ces putains d'êtres de l'eau. Je ne leur avais jamais fait confiance. Ils étaient vicieux et mauvais. Et ma théorie ne tarda pas à se révéler véridique. Les créatures propulsèrent Irina au fond du lac, et deux des êtres commencèrent à s'acharner sur moi, en me poussant contre le sol rocheux du lac. La pierre frottait ma peau à travers le tee shirt, et je n'arrivais pas à atteindre ma baguette, ils étaient trois contre moi, tout ce dont j'avais besoin, c'était d'un élément de surprise. « Bombarda ». C'était dans ce genre de moment que j'aimais encore plus Irina. « Stupéfix ! ». C'est de cette façon que j'ai pu me débarrasser de la deuxième créature. « Bombarda ! ». Et de trois. Je fis signe à Irina de me rejoindre pour remonter le courant jusqu'aux grilles de la salle de torture. Les effets de la branchiflore commençait déjà à s'atténuer. Une fois au niveau des grilles, il ne restait plus qu'à ouvrir tout simplement la porte. « ...C'est quoi cette enculerie ? » Le fantôme de Raspoutine était là, devant nos yeux.

Parfois, il arrive que tout dérape. Tout ce en quoi on croit fini par se transformer en illusion. Tout ce que l'on peut penser devient inutile, et on oublie les raisons de notre arrivée. Je savais qu'on touchait au but. La seule chose dont j'avais peur, c'était qu'en touchant à ce but, on finisse par se perdre nous même. « Est-ce qu'on peut vous parler ? » L'interroger était notre meilleure option. Pour ne pas dire la seule.